30 avril 2006

La voie du milieu.

Si la corde est trop tendue, elle casse. Si elle ne l'est pas assez, la harpe ne produit pas de son.

Imaginez un client qui vient à vous avec un besoin simple identifié: il veut disposer d'un véhicule entrant dans son budget. Vous lui proposez alors de lui construire et de lui vendre une bicyclette. C'est le métier de votre petite entreprise; vous ne concevez pas, vous fabriquez. Votre client accepte après une rapide explication orale.

Vous commencez donc le travail parce que vous connaissez votre affaire. Vous commandez un pédalier chez votre fournisseur habituel, sortez un cadre de votre stock pour le peindre en bleu, comme le souhaite le client. Pendant que vous êtes en train de dévoiler une vieille roue pour faire des économies sur votre réalisation, le client vous rapelle. Il a réfléchi et il le voudrait rajouter un moteur parce qu'il ne veut pas pédaler. Et puis en fait, il préfère le rouge.

Qu'à cela ne tienne ! Vous révélant force d'ingéniosité vous improvisez un Solex; tentant tant bien que mal de souder un moteur sur le garde boue de la roue avant, avant de repeindre en rouge. Quand vous lui livrez son véhicule, le client est déçu. En fait il pensait à une moto. Ce que vous lui proposez n'est pas assez puissant. En plus après avoir testé, il n'arrive pas à se maintenir en équilibre. Il préfèrerait un tricycle. Bleu. Parce que le rouge, à la réflexion, c'est trop agressif.

Vous reprennez votre travail pour ajouter une troisième roue en commençant par modifier le cadre en conséquence avant de le repeindre. À ce moment, le client vous rappelle une tantième fois. Il vient de voir une voiture verte et c'est ça qu'il veut. La société n'a jamais fait de voiture, mais les employés vont apprendre ... Vous rajoutez une quatrième roue, mettez le moteur en position centrale avant, commandez des sièges et trouvez in extremis un carossier. Vous demandez alors l'accord du client sur le nouveau tarif final; incluant le carénage. C'est alors qu'il explose: ce n'est pas du tout dans son budget. D'ailleurs le tricycle non plus, il pourrait tout juste obtenir une enveloppe supplémentaire pour le moteur, et encore ...

Seulement voila: le Solex à quatre roues est démonté, certaines pièces ont été modifiées et d'autres ont même été intégrées dans une trotinette pour un autre projet. Le client menace de ne pas payer tant que le véhicule n'est pas livré. Et votre patron décide de ne rien livrer tant que la facture du vélo d'origine n'aura pas été réglée.

Dead lock.

Imaginez maintenant un client qui vient à vous avec un besoin complexe mal identifié: il envisage de remplacer sa flotte de véhicules. Vous lui proposez alors d'étudier avec lui les possibilités; c'est le métier de votre grosse société. Vous ne fabriquez rien, votre valeur ajoutée c'est le conseil. Votre client signe un accord de principe et règle un accompte.

Vous commencez à rédiger une étude. Le top du top, c'est bien entendu l'hélicopter. Les déplacements sont trop courts et ne nécessitent pas une telle débauche de moyens, mais on vous l'a explicitement demandé parce que ça faisait plus professionnel, Alors allons-y. Vous passez du temps à chercher des constructeurs d'hélicopter, d'avion, de fusée ... Vous leur demandez des tarifs qu'ils ne fournissent généralement que lorsqu'ils savent s'ils pourront faire affaire. Vous devez assister à des demis-journées de réunions dans lesquelles une armada de commerciaux vous présente les moults avantages des engins de leur société à grand renfort de diagrammes présentés sur vidéo projecteur. Vous faites de votre mieux pour synthétiser tout cela en un paragraphe de trois lignes.

Viennent ensuite les solutions moins nobles: la voiture, la moto. Là encore il faut cogiter pour estimer les coûts: coût d'acquisition, coût d'adaptation au besoin du client, coût en formation aux utilisateurs, coût en maintenance, coût en évolution, coût total d'acquisition ... (et coût d'établissement des coûts)

Lors de la première présentation au client, celui ci vous explique qu'il était évident que les moyens de transport aériens ne devaient pas être pris en compte puisqu'ils sont trop cher et si peu pratiques. Vous avez travaillé pour rien. Encore heureux que personne n'ait pensé à vous faire inclure les vaisseaux maritimes. Par contre vous n'avez pas pensé à étudier les moyens de transports alternatifs (trains, bus, métro). Il vous faut revoir votre copie.

Le client règle le solde de la facture et un avenant au contrat est établi. Vous voila reparti pour une estimation des coûts. En temps surtout. Parce qu'avec la première étude, le projet du client a pris du retard. Vous faites une seconde présentation au client. Celui-ci trouve que les moyens alternatifs manquent de souplesse et que vos solutions sont trop onéreuses. Il envisage un parc de voitures (une solution isofonctionnelle) et vous demande d'approfondir cette solution. Pour remporter le marché, cette troisième partie de l'étude ne sera pas facturée.

Vous continuez donc à imaginer des solutions sans les mettre en pratique. Les carrosseries (coupé, berline, break), les énergies (essence, diesel), les modes de transmission (boîte manuelle ou automatique) ... Mais lors de la troisième présentation, il s'est écoulé deux ans depuis votre première rencontre avec le client. Les modèles ne sont plus d'actualité, la législation a changé et le client achète finalement un parc de voiture au GPL, une technologie écologique et économique recommandée par un de ses amis.

Game over.

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