18 avril 2006

Récit d'une journée ordinaire au pays des brasseurs d'air (et pas de houblon).

8h30
Arrivée.
J'aime ces petits moments de calme avant la tempête; quand le seul bruit qui ose s'aventurer dans le bureau est le gratouillis du disque dur quand le système démarre ...

9h00
Pause café.
Les premiers collègues, à peine arrivés, commencent déjà à prospecter pour une pause café. C'est à dire, je ne suis pas payé pour faire mon petit déjeuner sur mes heures de boulot, moi. En plus connaissant les zouaves ça risque de parler football et force est de reconnaître mon manque total d'intérêt pour ce sujet si cher au vulgum.
Oui je sais: ce n'est pas bien. Je devrais me forcer pour sacrifier à cette étape cruciale de la socialisation en milieu hostile (pardon, je veux dire en milieu professionnel) mais je suis déjà bien assez énervé sans caféine. En plus mon supérieur m'a récemment rappelé que je devais pas compter mes heures. Alors si on me laisse le choix, je préfère rentrer chez moi une demi-heure plus tôt ce soir.
Désolé les gars, je suis pas Véronique Jeannot.

9h30
Cours de gestion de stress.
La personne avec qui je partage le bureau revient de sa pause. Il soupire, chantonne, voire raconte sa vie.
Pas ce qu'il a fait le weekend dernier; non, non. Il palabre devant son écran: "alors je clique ici ... ha non ça marche pas ... alors là peut-être ..."
Hey, man: on s'en fout de ta vie ! Achètes-toi des amis.
Bon allez, chausser urgemment le filtre audio. Louons les divins créateurs du balladeur.
Il faut savoir faire contre mauvaise fortune bon cœur dit-on; au moins celui là n'insulte pas le logiciel et ne tabasse pas vertement le matériel quand il n'arrive pas à les utiliser correctement.

10h00
Appel téléphonique sur la ligne du collègue.
"Ha non, désolé, il n'est pas à son poste pour le moment. En réunion oui, ce doit être ça".
Dans la pièce fumeurs j'imagine; les pauses ici sont comme les repas des Hobbits: innombrables.
"Ha non je ne peux pas vous dire de quelle couleur il veut sa nouvelle cuisine".
On n'est pas assez intimes. Personnellement, je la lui repeindrais volontiers en rouge ... sang.

10h30
Spam.
Un hurluberlu a fait un mail à tous les employés de la société pour les prévenir d'un évènement des plus anodins. Crétin des Alpes !
Personne n'a connaissance de la netiquette ici. Du coup on reçoit toutes les 5 minutes une réponse à tous pour dire qu'il ne faut pas envoyer des mails à tout le monde. Une publicité demandait jusqu'où ils iraient. Maintenant on a une petite idée. Je suppute qu'on est malheureusement encore loin d'avoir touché le fond.
Petite consolation; le serveur *xch*ng* est au supplice. Je jubile: à genoux mécréant !

11h00
Je vais demander un renseignement à un collègue à l'étage.
Je rentre dans son bureau et, surprise, il est en train de surfer sur un site de cul.
C'est marrant les proxies. Je suis obligé de jouer avec le cache de G**gl* pour pouvoir obtenir les informations dont j'ai besoin pour travailler parce que je n'ai pas un accès complet à Internet en tant qu'externe. Lui, il a un accès complet et en branle pas une (sans mauvais jeu de mots). Honni Onan !

11h30
Retour dans mon bureau.
Mon collègue en a profité pour griller une clope sur place plutôt que de faire 50 mètres pour aller dans la salle fumeurs. Normal, ça lui aurait fait faire un peu de sport pour une fois.
Je me réconforte en me disant que son ADN sera retiré du pool génétique avant le mien. C'est minable, petit, mesquin, bas; mais qu'est ce que ça fait du bien !

12h00
Un petit coup de main.
Un collègue arrive l'air très embarassé pour me demander conseil. Il est jeune et motivé; fraichement débarqué de la semaine dernière.
Il voudrait savoir comment gérer ses horaires, vu qu'il n'y a plus personne dans son bureau pour lui donner de consignes à partir de 16h30.
Je pense un moment à m'en débarasser en lui répondant d'aller pleurer auprès de son RH mais je me retiens. Il n'est en rien responsable de ma vindicte et son désarroi est sincère.
"Fais comme moi: comme tu peux".

12h30
Pause déjeuner.
Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes pour offrir mieux à mon estomac qu'un ulcère.

13h30
Retour.
Mon collègue s'est cru obligé de bouffer sur place. Ca schlingue la poiscaille dans toute la piaule. On va ouvrir en grand même si on est en plein milieu du mois de mars.
"Quoi ? On se les pèle trop et tu vas t'en griller une ?"
C'est ça ouais, et n'oublie pas de faire une pause café après ta pause clope.
La prochaine fois que j'aurai envie de lâcher une caisse, je saurais sur quel bureau m'asseoir.

14h00
Réunion
Idéal pour digérer; ça va encore être la foire d'empoigne.
Mon supérieur n'entend rien à la technique; c'est un politicien. Son but n'est pas tant de faire avancer les choses que de gérer sa petite carrière en tirant au plus possible la couverture à lui à défaut de pouvoir décrier ses collègues dans leur dos.
Il ne dit pas bonjour aux membres de son équipe le matin mais il mange tous les midi avec le numéro un et le numéro deux de la boîte. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est en retard pour la réunion.
Bienvenue en obséquiocratie.

14h30
Réunion
Sans commentaire. J'ai déjà écrit un article complet à ce sujet.

15h00
Estimations.
Des employés ayant osé formuler une demande, il faut bien leur répondre même (voire surtout) s'il ne savent pas ce qu'ils veulent. Embarquons nous donc joyeusement dans une estimation des coûts pour que les responsables financiers puissent choisir la solution la moins onéreuse, même (voire surtout) en dépit du bon sens le plus commun.
Difficile d'évaluer le temps qu'on va passer sur un projet quand on ne maîtrise pas les technologies utilisées. On a le choix entre sous estimer et passer pour un incompétent a posteriori en ayant largement outrepassé les délais, ou bien surestimer et se faire immédiatement et copieusement réprimander, arguant d'un inadmissible manque de performance.
Alors ? Peste ou choléra ? Charybde ou Scylla ?

15h30
Appel téléphonique.
Ayant besoin d'un renseignement, j'appelle un collègue d'un autre site.
La personne qui décroche me répond: "Ha non, à cette heure là il est déja parti". "En weekend" me dis-je pour terminer sa phrase.
Merci bien, ça va beaucoup m'aider à tenir les délais qu'on m'a imposés.
On va aviser... mais aviser dans le calme, la tête reposée, se méfier de nos nerfs.

16h00
Altercation dans le bureau.
Un employé est venu saluer mon collègue. Moi, personne ne m'aime. Normal, je ne vais jamais aux pauses café.
L'un est néo-libéral et l'autre pro-gauchiste. Une fois échangées les politesses d'usage, la stérile guerre de religions peut commencer. Sujet du jour: la politique gouvernementale. Vaste débat. Voici mon bureau transformé en café du commerce.
Je me retiens de ne pas hurler "ROOOOOXAAAAAANE" à tue tête pour les calmer un peu.

16h30
Stage de W*rd.
De longues et fastidieuses années d'études à apprendre le noble art de l'informatique; tout ça pour me retrouver à double cliquer sur des mots pour les mettre dans le style spécifique à la charte graphique de la communication interne. Ou quand la forme est plus importante que le fond.
Car personne ne tiendra jamais compte des résultats de mon étude. Elle va être lue, relue, rerelue, validée, avalisée, classée, archivée et oubliée. C'est ça le cycle de vie de la documentation.
Ici KM doit vouloir dire Karrément Merdique.

17h00
Point hedomadaire.
Car il faut bien rendre des comptes à son supérieur, n'est-ce pas ?
Voila donc mon travail de la semaine passé au crible.
Pourquoi mes projets sont en retard ? (Parce que les collègues sont cadencés à la vitesse d'un Derrick) Est-ce que j'ai pensé à telle ou telle solution ? (Il a lu ça dans un magazine informatique alors il le remplace) Qui ? Quand ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ?
Je perds un temps précieux à expliquer mon travail plutôt que de le faire. Ce qui importe peu puisqu'in fine je devrais tout refaire comme mon supérieur l'aurait fait, lui.

17h30
Sur le départ.
Au moment de dire au revoir, mon supérieur (toujours lui) me rappelle à la dernière minute:
"Au fait pour le dossier machin, t'as 5 minutes pour en discuter ?"
C'est à dire ... Toi tu peux te permettre de rester tard; vu que tu es arrivé à 9h30. Moi par contre, j'ai mon train à prendre là ...

Alors si tu veux pas que je te crame la gueule, lâche moi la grappe, bordel !!!

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