On en dit gurus, détenteurs des clefs d'un savoir obscur.
On en dit hackers, franchissant les limites imposées par des multinationales et des gouvernements incapables de se tenir à jour; colosses aux pieds d'argile face à des passionnés joueurs dont la valeur technique n'a d'égal que le manque de maturité d'esprit.
On en dit nerd, on se moque de leurs lunettes disgracieuses, de leurs longs cheveux gras ou de leur manque de charisme ou de popularité.
On en dit geek, identifiés comme toxicomanes de l'ordinateur toujours en recherche de leur dose.
On en dit naxor, portant des costumes bien repassées et travaillant des phénomènes de surfaces, des choses qu'ils peuvent comprendre.
Moi, je préfère dire que je suis informaticien comme Michel Berger était pianiste.
Pionnier anonyme, l'ordinateur est ma passion. Je confesse ma culpabilité. Adolescent, j'ai découvert seul cette discipline avant qu'elle ne deviennent un lieu commun. Dans la pénombre de ma chambre j'ai acquis et capitalisé multitudes de connaissances et de compétences, en quête de mes limites logiques et cognitives. Toujours en compétition avec moi même pour m'améliorer, loin des railleries.
Je me suis découvert bricoleur, soudant des composants sur des circuits imprimés et montant des machines à partir de bric et de broc.
Je me suis plongé dans la programmation, à la découverte d'un monde fait de rigueur et de labyrinthes mentaux.
Je me suis immergé dans des mondes virtuels, faits de créatures imaginaires, vivant des aventures extraordinaires au travers des réseaux là où d'autres s'évadaient bien avant moi en lisant Jules Vernes.
J'étais un illuminé, cherchant des produits d'importation dans des magasins inconnus avant qu'on vende de l'Internet comme du savon ou qu'on trouve des ordinateurs en grande surface.
Il fut une époque ou l'on me qualifiait d'associal pour jouer sur ma calculatrice dans le bus et aujourd'hui il est monnaie courante de jouer sur son téléphone portable. La pratique marginale d'antan est maintenant passée dans les mœurs.
Me retrouvant comme tant d'autres en échec scolaire, il ne me restait plus d'autre choix que de faire de ma passion mon métier. Aujourd'hui j'ai l'impression de me prostituer, tel un artiste incompris devant faire une publicité de lessive pour pouvoir manger et payer son loyer. Ne vous y trompez pas, je fais partie des ouvriers spécialisés de l'ère moderne. Voici d'ailleurs déjà poindre les délocalisations de cerveaux.
J'ai vu les idées de quelques chevelus désireux de révolutionner le monde il y a quelques années se transformer en un business bien juteux. Les visionnaires ont fait place aux gestionnaires; ceux qui ne comptent pas vendre de l'eau sucrée toute leur vie. J'ai peur de voir la flamme de ma curiosité s'éteindre, étouffée par la rentabilité, la productivité et les parts de marché.
Des costards-cravates étudient, qualifient, mesurent, théorisent, planifient ... sans curiosité et sans élégance. Ils prennent rarement le temps de bien faire les choses puisqu'il faudra de toute façon les refaire dans quelques années avec ce qui sera alors la "nouvelle" technologie. La société qui les emploie dispose d'une aura auprès de ses clients, ils sont catapultés experts alors qu'ils ont à peine eu le temps de glaner quelque informations sur le net, la veille en profitant de leur inter contrat. Ils fournissent au prix fort des machines dont la fabrication nécessite au moins dix fois leur poids en combustibles fossiles et produits chimiques.
Et je suis en train de devenir l'un d'entre eux.
Loin d'être les prophètes technologiques, on serait plutôt les anges noirs d'une société en train de s'auto anéantir. Mon jardin secret est devenu une dangereuse mystification, symptomatique du malaise de ce qu'il faut bien appeler la "culture" occidentale.
Don't dream it's over.
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